L’effectuation, c’est une nouvelle manière d’envisager la création d’entreprise. Une méthode, 5 principes-clés et un message central : après le créateur « super-héros », vive le créateur de terrain !
Comment font les entrepreneurs pour créer et surtout pour réussir ? C’est la question que s’est posée une chercheuse américaine, Saras Sarasvathy. Ces travaux commencent à faire parler d’eux en France grâce notamment à un entrepreneur aujourd’hui professeur d’entrepreneuriat à l’EM Lyon, Philippe Silberzahn. Il vient de publier un ouvrage sur le sujet*. Créateur, ne fuyez pas ! Cette « théorie », c’est avant tout du pragmatisme et du bon sens, une nouvelle démarche pour créer une entreprise.
Vous n’êtes pas un héros ? Bonne nouvelle, vous pouvez créer votre entreprise !
L’effectuation, c’est d’abord la fin d’idées reçues. La fin du mythe de l’entrepreneur « super héros » (ou bandit, selon les conceptions…). « Souvent, les grandes figures des chefs d’entreprises sont vues comme des héros, des hommes ayant eu une idée géniale, des visionnaires, souligne Philippe Silberzahn. On a tous en tête des Richard Branson ou des Xavier Niel. Mais dans la vraie vie, les entrepreneurs sont très différents, avec des profils variés. » Un des apports de cette démarche, c’est d’ailleurs aussi de proposer une méthode d’enseignement de l’entrepreneuriat, et un meilleur accompagnement des créateurs.
Pour faire son étude, Saras Sarasvathy a rencontré des dizaines d’entrepreneurs qui ont réussi. Elle ne leur a pas demandé les clés de leur réussite, mais les a confrontés à une série de problème à résoudre : vendre ou lancer un nouveau produit, par exemple. Elle a ainsi accumulé des heures d’enregistrement et en a tiré 5 principes. C’est cela, l’effectuation : loin d’une théorie fumeuse, les grandes lignes d’action que mettent en œuvre les entrepreneurs qui ont réussi.
« Ces principes sont universels, ouvert à tous, valables de la Silicon Valley au Bangladesh, insiste Philippe Silberzahn. C’est une rupture dans la manière de voir l’entrepreneuriat ! »
Vidéo de présentation de l’effectuation par Saras Sarasvathy
Voici donc les 5 principes de l’effectuation
1 : Démarrez avec ce que vous avez
« Prenez l’image d’un diner avec des amis. Une fois l’invitation lancée, certains, pour composer le menu, vont chercher des recettes, faire les courses, puis cuisiner. On est ici dans une démarche planifiée, avec un objectif à atteindre et les solutions pour y parvenir, explique Philippe Silberzahn. D’autres, pour ce dîner, vont ouvrir leur frigo, et composer le menu avec ce qu’ils ont. Ces autres, ce sont des entrepreneurs : les entrepreneurs regardent les ressources dont ils disposent et agissent en fonction de ces ressources. »
Quelles sont les ressources dont tout entrepreneur dispose ? Tout d’abord, sa personnalité. Le point de départ de toute création d’entreprise, ce n’est pas une idée géniale, mais la personnalité de l’individu. Vous en doutez ? Une même idée, aussi géniale soit-elle, n’aboutira pas à la même entreprise selon l’entrepreneur qui mène le projet !
Autres ressources : la connaissance (éducation, expérience, métier, savoir-faire) et le réseau. Le réseau, c’est l’entourage de l’entrepreneur. Le succès dépend de cette capacité à mobiliser autour de son projet les ressources de son réseau. Cela peut être pour demander le prêt d’un local ou d’un véhicule, du savoir-faire pour créer un site internet, un contact d’investisseur ou de client, etc. Une mobilisation qui vaut pour tous, quel que soit l’entrepreneur et son univers. « Le processus entrepreneurial repose sur trois bases : ce que je suis, ce que je peux en faire, et qui peut m’aider, résume Philippe Silberzahn. Chaque ressource mobilisée ouvre sur de nouveaux objectifs possibles. Un cercle vertueux qui nourrit et fait grandir le projet entrepreneurial. »
Principe 2 : La perte acceptable
Les entrepreneurs qui ont réussi ont su borner et contrôler le risque qu’ils prenaient. « On a souvent l’image d’un entrepreneur tête brûlée qui risque tout, avance Philippe Silberzahn. En fait, l’entrepreneur n’est pas quelqu’un qui risque tout, mais qui décide de ce qu’il peut ou non risquer. »
Avant de se lancer, l’idée est de se fixer des limites, de savoir ce qu’on est prêt à perdre : quelques mois pour monter un projet, 3000 euros pour lancer un site internet de test, etc. Cette notion de « perte acceptable » permet aux entrepreneurs de se lancer avec moins d’appréhension puisqu’ils ont de fait accepté de perdre quelque chose.
Principe 3 : le patchwork fou.
Le projet entrepreneurial est un patchwork : son résultat n’est jamais connu à l’avance et dépend des personnes qui s’ajoutent au projet, qui apportent des ressources. Ce principe montre que tout projet entrepreneurial est émergent, évolutif, le fruit d’interaction.
Principe 4 : Tirer partie des surprises
« Traditionnellement, un des grands principes en création d’entreprise et un management, c’est de faire un plan, un business plan, des prévisionnels pour éviter les surprises, rappelle Philippe Silberzahn. Or, cette démarche est très couteuse (temps, argent)… En réalité, c’est la capacité à réagir aux surprises qui fait l’entrepreneur. »
Principe 5 : Rien n’est inéluctable, rien n’est écrit.
L’industrie du textile en Europe est sur le déclin ? Ce contexte n’a pas empêché la création et le succès international de Zara, lancé par un entrepreneur espagnol. Swatch, de son côté, a réveillé une industrie horlogère suisse vieillissante. « L’entrepreneur n’est pas celui qui prédit l’avenir mais qui le construit », lance Philippe Silberzahn.
Effectuation, lean : le tout, c’est de se lancer
L’effectuation présente des points communs avec une autre théorie, celle du lean. Ce point commun réside dans la notion d’itération. Les entrepreneurs ne savent pas à l’avance ce qu’est le marché. La démarche classique : tenter de prédire le marché avec des business plan et des études de marchés.
Le lean et l’effectuation proposent d’aller rapidement au contact avec le marché. En clair, tester son idée très concrètement, en démarrant avec un site de démonstration par exemple. La confrontation avec les clients (ou même les non clients d’ailleurs), permet d’affiner le concept, le produit au plus près de la demande. En pratique, lancer un site de e-commerce en version bêta, ou vendre ses gâteaux sur le marché avant d’ouvrir une boutique
Les limites : bien sûr, si vous cherchez des financements, un business plan reste incontournable. Mais il vous sera toujours plus facile de justifier vos chiffres prévisionnels et votre approche du marché avec des exemples concrets tirés de votre première phase de test !
Le message central à retenir : l’entrepreneuriat est un processus social, qui se construit avec les autres. Il faut quitter le mythe de l’idée géniale et de l’entrepreneur héros.
A l’ère d’internet, où un créateur peut avoir l’impression de trouver une mine d’information sur son marché, l’erreur serait de rester derrière son ordinateur, de construire un business plan sous Excel et de le présenter à des banquiers. Au contraire, le terrain est une clé. Salon, marché, conférence professionnel : quel que soit votre secteur, même dans le numérique, la vraie vie nourrit le projet !
*Le blog et l’ouvrage de Philippe Silberzahn : [[http://effectuation-lelivre.com/]]
Le site consacré à l’effectuation [[http://www.effectuation.org/]]
En savoir plus sur http://business.lesechos.fr/entrepreneurs/business-plan/10026916-l-effectuation-et-ses-5-cles-pour-creer-la-fin-des-createurs-d-entreprise-super-heros-34176.php