C’est la philosophie de Mitsuru Kawai, un vétéran qui a travaillé pendant 50 ans chez Toyota, à qui Akio Toyoda, le président de la compagnie, a demandé de promouvoir l’expertise humaine dans les usines du constructeur de voitures. Agé de 65 ans aujourd’hui, Kawai a débuté chez Toyota à l’ère de Taiichi Ohno, le concepteur du système de production de Toyota qui a révolutionné l’industrie automobile pour son efficacité et le niveau de qualité produite. Ce système repose sur le kaizen, l’amélioration continue, une méthode de gestion de la qualité, ainsi que sur le monozukuri, l’art de la fabrication.
« Lorsque j’étais débutant, nous appelions les maîtres expérimentés des dieux, et ils pouvaient tout faire », rappelle Kawai. Selon l’auteur Jeff Liker, qui a écrit 8 livres sur Toyota et qui a rencontré Kawai l’année dernière, Toyota considère ces « dieux », ces kami-sama, comme on les appelle en japonais, comme des maitres artisans qui ont constamment besoin d’affiner leurs art et leur niveau de compétence. Avec leur retour dans les usines, Toyota cherche à développer de nouvelles compétences et trouver des moyens d’améliorer les lignes de production.
Toyoda craint que le groupe fondé par son grand-père ne perde trop ses exigences de qualité et d’efficacité sur l’autel de la croissance et des chiffres de ventes. « Ce qu’Akio Toyoda craignait, c’est que la compagnie ait perdu l’habitude de prendre le temps de se donner du mal pour apprendre », explique Liker. « Il a senti que Toyota avait attrapé la maladie des grosses sociétés et qu’elle était trop concentrée à produire ». Cette initiative accompagne un transfert de la production vers des plateformes manufacturières qui devraient permettre de réduire les coûts de 30%, tout en maintenant la production annuelle à 3 millions de véhicules par an.
Kawai dirige lui-même la division de la forge à l’usine Toyota de Honsha, et sous ses ordres, les ouvriers apprennent à forger eux-mêmes des vilebrequins, au lieu de s’en remettre à des process automatisés.
Il affirme que les jeunes ouvriers peuvent apprendre bien plus de choses sur leur métier s’ils apprennent à fabriquer les pièces détachées à partir d’un matériau brut, plutôt que s’ils les ramassent sur un tapis roulant, ou s’ils appuient sur les boutons de machines. Les leçons apprises peuvent ensuite être transposées dans le réglage des machines, afin d’améliorer les process et d’éviter les gaspillages. Ce type d’expérience a permis de réduire le niveau des déchets et de raccourcir de 96% la longueur de la ligne de production par rapport à ce qu’elle était il y a 3 ans. A l’usine de Honsha, la quantité de déchets liée à la fabrication des vilebrequins a été réduite de 10%. Kawai souhaite maintenant appliquer les nouvelles méthodes aux lignes de la Prius, la voiture hybride de Toyota. Outre les vilebrequins, le travail manuel a également fait son retour dans les ateliers de fabrication des essieux et des pièces détachés du châssis.
Cependant, le but n’est certainement pas d’éradiquer les robots – 760 robots accomplissent 96% des tâches de production à l’usine Motomachi. « Nous ne pouvons tout simplement pas dépendre des machines qui ne font que répéter la même tâche à l’infini. Pour être le maître de la machine, il faut avoir les connaissances et les compétences pour lui apprendre le travail », dit Kawai. « La mécanisation en elle-même n’est pas nuisible, mais s’en tenir à une mécanisation particulière conduit à oublier le kaizen et à ne plus rechercher l’amélioration », estime Takahiro Fujimoto, un professeur de gestion de la production à l’Université de Tokyo.
Depuis la fin du siècle dernier, Toyota a augmenté annuellement sa production de 500.000 exemplaires. Pour 2014, l’objectif est de vendre plus de 10 millions de véhicules, un objectif qui dépasse tous ceux des autres constructeurs.
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