LE CERCLE. Le sens gagne progressivement du terrain et s’impose comme une valeur centrale dans l’entreprise. Mais comment appréhender et saisir ce qu’est le sens pour l’entreprise ? Dans cette contribution et la suivante, nous souhaitons donner quelques clés pour aider les managers à penser et construire le sens.
La poursuite d’une finalité : nous existons pour… nous travaillons pour…
La finalité est le désir de contribuer à quelque chose qui dépasse ses propres intérêts (1). Pour une organisation, cette contribution doit s’avérer utile pour les « communautés », en répondant à des besoins sociaux réels et avoir un réel impact social, environnemental et sociétal.
La finalité d’une organisation est sa raison d’être : pourquoi notre entreprise existe ? En quoi est-elle unique ? En quoi sa contribution est-elle unique ? Pour qui ? À quoi servons-nous ? À quels besoins sociaux répondons-nous ? Pour traduire cette finalité en mots, les organisations sont encouragées à formuler un grand et audacieux objectif (Mission statement) capable d’offrir un attrait émotionnel puissant, de donner du sens au travail, d’articuler les objectifs de l’organisation avec les valeurs et aspirations profondes des collaborateurs.
Dans certaines entreprises, les statements sont grandioses, mais ne sont pas signifiants pour les collaborateurs. Ils peuvent être également excessifs et donc sembler inatteignables, ou si vagues qu’ils apparaissent vains ou vides (2).
Les finalités retenues par certaines entreprises leur permettent de relier directement leur action au bien commun, et donc de donner à leur travail une réelle légitimité politique et morale (Google : « organize the world’s information and make it universally accessible and useful. » Danone : « Bringing health through food to as many people as possible »).
L’entreprise doit prendre conscience qu’elle n’est pas sa propre fin, mais qu’elle est au service d’un intérêt général qui la dépasse. Le choix d’une finalité (ou autrement dit, le choix des mots qui entreront la rédaction du Mission statement) est indissociable du sens que l’entreprise a de sa situation et de sa responsabilité dans le monde en crise.
Cette finalité sera déclinée ensuite en stratégie cohérente et alignée avec la finalité : vision, valeurs, trajectoires, plans d’action conformément au schéma joint à l’article, la recherche de sens se situant au cœur de la réflexion stratégique.
Satisfaire la soif de sens des collaborateurs : contribuer, relier
Le mission statement donne du sens au travail et doit rejoindre les aspirations profondes des collaborateurs. Mais d’autres conditions doivent être mises en place pour satisfaire la soif de sens de ses collaborateurs.
Satisfaire la soif de sens d’un individu, c’est honorer deux aspirations essentielles : contribuer à la finalité de l’entreprise et vivre en relation. Les questions qui suivent permettent de cerner le déficit ou le crédit de sens tel qu’il est perçu par les collaborateurs et les managers :
• Suis-je capable de faire le lien entre mon travail, celui de mon équipe et la finalité de l’organisation ? Mon travail participe-t-il à la poursuite de cette finalité ?
• Suis-je en mesure de m’organiser pour réaliser mes missions ? Est-ce que je dispose d’un réel pouvoir pour organiser la manière dont je veux apporter ma contribution ?
• Est-ce que je peux discuter avec les collègues de mon équipe, ceux des autres équipes pour résoudre telle ou telle difficulté ? Pouvons-nous nous entraider pour réduire l’écart entre travail prescrit/travail réalisé (charge de travail, organisation, moyens) ? Est-ce que je peux remonter mes informations et être entendu ? En cas de difficultés, est-ce que je peux échanger et être soutenu part mon encadrement ?
• La manière dont j’exerce mon rôle et ma responsabilité dans l’entreprise me permet-elle de poursuivre ma finalité propre et de répondre à mes aspirations ? Suis-je capable de relier mon travail avec ma finalité personnelle ?
• Est-ce que j’ai l’impression que ma contribution est reconnue ?
L’enjeu pour l’entreprise – qui s’est donnée sa finalité – est de s’accorder avec ses membres – qui ont chacun une finalité propre et qui guide leur action. Le sens est pluriel : il y a le sens que l’individu met dans son travail, le sens que mettent les autres dans leur travail, le sens qu’y met l’entreprise. Travailler avec d’autres, c’est faire l’expérience qu’il existe des raisons d’être et de travailler autres que les miennes. Le sens devient sens avec les autres.
Comment faire en sorte que les raisons des individus soient prises en compte par l’organisation ? « Les organisations n’ont nul besoin que leurs membres soient pleinement en accord avec elles. La grande affaire du travail, c’est de savoir s’accorder, pas d’être d’accord, de sorte que si les raisons de l’entreprise ne sont pas les miennes, dans le même temps, il faut ménager la possibilité que mes raisons soient entendues, qu’elles puissent trouver la possibilité de se dégager et d’exister pour elles-mêmes » (3).
Recherche de sens pour l’individu et pour l’entreprise sont étroitement imbriquées. « Le sens de l’individualité se réalise d’abord dans la communauté. Dans cette mesure, la valeur de l’individu dépend de la communauté. Mais si la communauté elle-même doit avoir un sens, alors elle ne saurait se passer de l’individualité des individus qui la forment. Le sens de la communauté se constitue à partir de l’individualité, et le sens de l’individualité à partir de la communauté » (4).
Dans le prochain article, nous verrons comment les managers peuvent accompagner la construction du sens, au quotidien.
(1) Pratiques de la décision – Bernard Bougon et Laurent Falque – Dunod (2) How leaders kill meaning at work – Teresa Amabile and Steven Kramer – Mac Kinsey Quarterly, janvier 2012 (3) Travail et discernement – François Hubault – Institut du discernement professionnel (www.discernement.org) (4) Viktor Frankl
Découvrir la suite sur lecercle.lesechos.fr